Les questions que suscite la dégringolade des valeurs bancaires européennes – Septembre 2016

Bilan | 15 septembre 2016

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Les banques sont en train de changer de modèle en faisant évoluer leur base de revenus. – Shutterstock


Veronique Chocron – Sharon Wajsbrot – Le 15/09 – Les Echos

Le recul des titres bancaires renchérit le coût du capital. Il joue aussi en défaveur du financement de l’économie.

 

Quelles sont les conséquences de la chute en Bourse des valeurs sur l’activité des établissements?

La chute du cours de Bourse d’une banque n’a aucune incidence directe sur l’activité ou la solidité de l’établissement. Le cours de Bourse n’est en effet que le reflet de la « profitabilité » future de la banque, de la création de valeur attendue. Un cours qui baisse traduit donc des perspectives négatives. Il peut toutefois y avoir des effets connexes. Dans les cas extrêmes, si une valeur bancaire s’effondre et que la confiance disparaît, d’autres établissements peuvent ne plus vouloir traiter avec la banque en difficulté et les clients peuvent retirer des dépôts.

Pourquoi les banques françaises sont maltraitées en Bourse alors qu’elles affichent de bons résultats ?

A première vue, le climat est au beau fixe pour les banques françaises. Au premier semestre, la première d’entre elles, BNP Paribas, a affiché les résultats les plus éclatants du CAC 40, avec plus de 4,3 milliards d’euros de bénéfices (en hausse de 4,1 %). Les fonds propres des établissements se renforcent également et témoignent de leur capacité à produire des résultats et à les mettre en réserve. Pour les investisseurs, c’est toutefois loin d’être suffisant. « Pour des banques comme BNP Paribas, présentes surtout en zone euro, le marché craint l’impact de la politique de taux négatifs de la BCE sur leur profitabilité à moyen terme », détaille un analyste. Conjuguée aux incertitudes réglementaires sur les projets du Comité de Bâle, à la pression concurrentielle des fintech, la politique de la BCE qui met sous pression les revenus d’intérêt des banques pourrait grever leur rentabilité. Depuis la crise financière, elle a déjà fortement décliné : à la fin du deuxième trimestre, BNP Paribas affichait un retour sur fonds propres (ROE) de 9,7 %, contre 8,1 % pour Société Générale. Des niveaux qui n’ont rien de comparable avec ceux d’avant-crise, qui avoisinaient 15 à 20 %.
 

Pourquoi les investisseurs attendent un rendement de 10 % des fonds propres des banques ?

C’est le principal reproche des investisseurs à l’égard des banques : leur rentabilité – le ROE, qui rapporte les résultats aux capitaux propres – est jugée trop faible. « On peut estimer, en se basant sur un modèle de calcul théorique, que le coût du capital (fonds propres) pour une grande banque cotée équivaut actuellement à environ 10 %. Donc, pour qu’une banque ne détruise pas de valeur, il faut qu’elle dégage un retour sur fonds propres (ROE) de minimum 10 % : en deçà, elle détruit de la valeur pour l’actionnaire », explique Yann Goffinet, analyste financier chez Pictet Wealth Management. Or, avec le renforcement des fonds propres imposé par les régulateurs au lendemain de la crise, et en période de taux négatifs, rares sont les grandes banques qui peuvent proposer une telle rentabilité. Le secteur bancaire en Europe affiche en réalité des ROE de l’ordre de 7 % à 8 %. Certains banquiers estiment toutefois que le coût du capital n’atteint désormais plus ce seuil de 10 % parce que, depuis la crise financière, les banques sont « dérisquées ». « Un ROE de 5 % reste un très bon rendement pour une banque solide, mais à ce niveau-là, il faut de la lisibilité et une rentabilité régulière », estime le patron d’une grande banque française. « Les banques restent un secteur assez opaque et suffisamment difficile de compréhension pour que les investisseurs ne prêtent pas à 5 % », estime de son côté un analyste bancaire.
 

Est-ce qu’en Europe les banques peuvent se financer aisément ?

Sur le front du crédit, où les indicateurs de solvabilité des établissements priment sur ceux les perspectives de rentabilité future, la défiance des actionnaires vis-à-vis des titres bancaires a de fait peu d’impact. « Les marchés de dettes bancaires ont déjà absorbé, en grande partie, les deux chocs du premier semestre – celui de début d’année lié aux craintes sur la croissance mondiale et sur le secteur bancaire et celui de juin lié au Brexit »,détaille Gabriella Serres, analyste crédit chez Aurel BGC. De fait, pour trouver du rendement, les investisseurs se tournent vers les titres bancaires, acteurs de poids sur le marché de la dette ; à la différence des titres émis par les entreprises non financières, ceux émis par les banques ne sont pas concernés par les programmes de rachats de la BCE. Parfois, les inquiétudes des actionnaires peuvent rejoindre celles des détenteurs de dette. Pour mémoire en février, une note mettant en doute la capacité de Deutsche Bank à honorer les coupons de ses dettes en CoCo (pour « contingent convertible capital ») avait mis le feu aux poudres sur le marché de ces dettes subordonnées et renforcé la pression sur le cours de la banque.
 

Qu’en est-il lorsque les banques font appel à leurs actionnaires pour renforcer leur capital ?

Avec un cours déprécié, les établissements ont logiquement plus de difficultés à les convaincre de remettre au pot. Certes, les actionnaires veulent éviter d’être dilués mais ils craignent aussi d’autres mauvaises surprises : « lorsqu’une banque comme UniCredit fait une augmentation de capital, les investisseurs se demandent toujours si cela sera la dernière », fait valoir un analyste. L’opération se révèle donc mécaniquement plus coûteuse pour la banque.
Un contexte qui, pour les économistes de Natixis, pose de véritables problèmes. « Il accroît le coût du capital en actions des banques, ce qui accroît le coût des ressources des banques, donc le coût de financement de l’économie », note Patrick Artus, directeur de la recherche et des études de la banque. Plus grave, pour l’économiste, en renchérissant les levées de fonds pour les banques, le recul des cours boursiers des établissements pourrait « limiter leur capacité à prêter » et « décourager » leurs projets de développement. En somme, elles feraient alors obstacle aux objectifs de la BCE…

 

Est-ce que les banques ont les moyens de devenir plus attractives ?

Pour survivre, les banques sont en train de changer de modèle en faisant évoluer leur base de revenus. Elles font en sorte de dépendre moins des activités de transformation des taux d’intérêt et de générer de nouveaux revenus issus de commissions, par exemple en facturant la tenue de compte des particuliers. Elles réduisent aussi leurs coûts. Et pour être plus attractive auprès des investisseurs, elles proposent des dividendes « supérieurs à ce qu’il y a sur le marché », note un analyste, avec des rendements attendus pour 2016 compris entre 4,5 % et 5 %, et même davantage pour Crédit Agricole SA (7 % au prix actuel du titre). Mais « le dividende est un argument qui n’est pas suffisant, car si les profits sont sous pression, le dividende – qui est une distribution d’une partie des bénéfices – l’est aussi », poursuit cet analyste. Par ailleurs, la BCE veille à ce que les politiques de distributions restent « prudentes » afin que les établissements puissent « continuer à remplir toutes les exigences, y compris en cas de dégradation de la situation économique et financière ».
 

Quand les valeurs bancaires reprendront des couleurs ?

Les banques ne sont pas condamnées à souffrir en Bourse. Aujourd’hui les perspectives sont négatives (taux d’intérêt bas, cours du pétrole, incertitudes réglementaires, etc.). Mais « si l’inflation repart, si la courbe des taux se reforme, si l’activité de transformation des banques redevient rentable, les cours de Bourse repartiront à la hausse, explique Alex Koagne, analyste chez Natixis. Le secteur bancaire a vécu ces 20 dernières années avec des ROE moyen supérieur à celui du marché. L’évolution réglementaire contraint fortement la rentabilité du secteur obligeant les banques à réaliser d’importants ajustements afin d’améliorer le niveau de rentabilité, mais cela prendra du temps ». Déjà, la tension sur les taux d’intérêt à long terme observée ces derniers temps dans la zone euro s’est traduite par une légère reprise en Bourse du secteur bancaire européen au cours du mois dernier.